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22/05/2018

L'histoire du cabas

   On a aperçu ce sac à malices dernièrement dans un billet :
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Il est léger, profond, pas trop grand, solide et très poétiquement décoré mais il a aussi une histoire.

En la racontant, je le montrerai sous toutes ses faces...

    Lorsque je suis arrivée à la Grande Motte en 2010, c'était en pleine période de rentrée scolaire ; période où les enfants rangent leur chambre et font du tri, il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que le container poubelle de la résidence regorge de vieilles trousses, classeurs légèrement abîmés, cahiers, etc...
Au passage, j'ai fait provision de quantités de papiers à un point tel que je n'ai plus acheté une seule feuille en 8 ans ! Toujours au passage, je ne comprends pas qu'on jette du papier neuf, mais le classeur est foutu en l'air, son contenu aussi...
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L'histoire du cabas a commencé avec une paire de rollers en ligne.

En descendant mon sac poubelle, je trouve un jeune garçon d'une douzaine d'années en train de jeter ses rollers. Un seul coup d’œil suffisait pour voir qu'ils étaient neufs.
Et ça, ça ne passait pas (ça ne passe pas mieux aujourd'hui ^^)

- Bonjour, ils sont neufs ces rollers, pourquoi tu les jettes ?
- Bin... ils me vont plus... au cas où vous auriez oublié, les enfants ça grandit aussi des pieds !

Le gosse est effronté, fringué tendance, mignon, coupe de cheveux à la mode, il pue le fils de bourge à plein nez.

- La vieille qui perd la mémoire s'appelle Maryse, et le gamin mal élevé se nomme comment ?
- Émilien.
- Je ne suis pas vraiment enchantée de te connaître... Tu as pensé un instant qu'un autre enfant serait heureux de posséder d'aussi beaux rollers ? Tu es conscient que certains n'ont pas assez d'argent pour en acheter ?
- Les pauvres je m'en fous !!
- Ça, tu vas regretter de l'avoir dit, essaye au moins de réfléchir à tes paroles. En attendant, si tu permets, je récupère tes rollers pour les apporter chez Emmaüs, ils feront le bonheur d'un gamin moins riche que toi... et pas forcément plus con.
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L'intérieur du sac est décoré aussi....

Chaque fois que je descendais ma poubelle, je récupérais des jeux neufs ou très peu servis, forcément ceux d’Émilien, il n'y avait pas d'autre gamin dans la résidence.

Et puis un jour, je trouve le fameux cabas rempli de ce qu'achète une mère à son fils pour qu'il "passe le temps" sauf que.... pas toutes les mamans ont les moyens de payer le top de la qualité.
Le sac contenait un coffret de pastels de chez Sennelier, des carnets de papiers Ingres, des gouaches, des tubes de peintures acryliques même pas entamés, des pinceaux Rembrandt encore sous blister... A vue de pif, le cabas cumulait 500 euros de matériel artistique haut de gamme.

Le sentiment que j'éprouvais alors était mitigé : à la fois du dégoût et de la joie.
Mais d'emblée, je ne fis pas attention au contenant, le voyant comme un sac de supermarché, seul le contenu me donnait le frisson...
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Une face du sac.

La fois suivante où je croisais Émilien au local poubelle, je ne le saluais même pas, ce gosse m’écœurait.
C'est lui qui m'aborda :

- Bonjour Maryse, ça va ?
- Oui merci..... Tu viens te débarrasser de quoi aujourd'hui ? Tu sais Émilien, j'habite au 23, je me demande si tu ne devrais pas m'amener directement tes rebuts...
- Maryse, c'est quoi Emmaüs ?
- Ah... tu as réfléchi donc... c'est bien.
Et j'expliquais le concept de l'Abbé Pierre mais aussi la joie d'un gosse qui m'avait vu arriver pour déposer les rollers. Un enfant très doué en glissades dont le sourire faisait plaisir à voir quand sa maman a donné 5 euro pour qu'il les emporte.
- Et si je rassemblais mes anciens jeux dans un carton, je pourrai vous les donner ?
- Bien sûr, c'est une excellente idée, je peux aussi t'emmener chez Emmaüs, pas pour te déposer, personne ne voudrait d'un gamin aussi méprisant que toi, mais pour que tu vois, tu comprendrais ainsi que tout le monde n'est pas né sous une bonne étoile...
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L'autre face...

Pendant plusieurs semaines, je n'ai plus rencontré Émilien et je n'ai plus rien trouvé à la poubelle qui me fasse penser à lui. Et puis un jour "toc-toc" à ma porte, c'était lui et... sa maman.

- Entrez, entrez !
Le discours de la mère était édifiant : Pas assez de temps pour s'occuper de son fils, son père c'était pire mais avec l'argent on lui achète des dérivatifs, heureusement qu'on peut... etc... etc...
Un flot de paroles sous forme d'excuses qui n'a eu qu'un seul effet sur moi : Me rendre quasi muette :
- Si Émilien prend conscience de la valeur des choses, c'est déjà bien. Avec votre permission, je l'emmènerai déposer ses vieux jouets chez Emmaüs.
La maman hocha la tête en signe d'accord.
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Même les côtés sont décorés, les anses et le dessous aussi !

J'ai donc conduit Émilien et ses jouets chez Emmaüs, c'est lui qui a fait l'action de donner mais je guettais discrètement chacun de ses regards, chacune de ses expressions.
Il a vu des gens négocier un achat à un euro, il a vu des habits de marque vendus 3 euros, il a trouvé les employés "un peu chelou", cela m'a fait sourire et permis d'expliquer ce qu'était la réinsertion.

Émilien et moi sommes devenus "amis", je lui ai fait découvrir des activités qui ne s'achètent pas comme la pêche à la ligne, la pêche à pieds, la reconnaissance de la faune par les traces dans le sable, il a vu et photographié la grande Couleuvre de Montpellier lovée dans la dune... et moi j'ai gardé ce cabas en souvenir d'un gamin qui était infecte... mais seulement par mimétisme.

    Le fameux sac a été crée par une styliste pour les Éditions La Marelle (c'est écrit dessous ;-), il était collector et offert quand les achats de livres dépassaient une certaine somme.
Je l'adore même s'il commence à montrer quelques signes de fatigue. Faut dire qu'il a connu les palourdes dégoulinantes d'eau salée, les coquillages ensablés autant que toutes sortes d'herbes folles !